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Ville de Kinshasa : un budget d’un demi-milliard de dollars en 2020, des projets non réalisés, de l’argent à priori volatilisé...(Enquête, volet 3)



Le budget, le nerf de la guerre, nous a paru comme une clé de lecture relativement objective pour évaluer les ambitions de l’assemblée provinciale et de l’exécutif de la ville de Kinshasa à travers la ventilation des ressources. Dans le cadre de cette enquête, 7sur7.cd s’est appuyé sur le budget de 2020 et notamment sur la reddition des comptes qui en donne une lecture éclairante. Après des semaines de sollicitations infructueuses, l’accès aux éléments budgétaires qui sont censés être publics n’a été rendu possible que grâce à la volonté de transparence du président Gode Mpoy qui est intervenu personnellement et directement pour que les édits budgétaires soient remis à notre rédaction. Premières informations : le budget était fixé 490 millions de dollars (980 043 040 508 FC) mais finalement ce sont 350 millions de dollars (705 877 175 012 FC) qui ont été mobilisés soit 72 % de taux de réalisation avec des dépenses à peine moindres permettant un excédent de 204.000 dollars ( 407 937 010 FC).
 
La ville de Kinshasa a été privée de plus de 25 % de moyens escomptés, budgétisés, la faute au gouvernement central qui ne reverse pas aux provinces la part des recettes qui leur revient. Néanmoins, des chiffres bruts laissent penser à une gestion de bon père de famille selon l’expression consacrée car pour ses frais de fonctionnement, l’exécutif a dépensé à peine le tiers de ce qui était prévu soit 4.650.000 dollars au lieu de 15 millions, quasiment la même austérité pour l’assemblée provinciale dont la dotation a été réduite à 3.900.000 dollars contre les 10.200.000 dollars programmés. Pour ceux qui s’étaient affolés des dépenses relatives à l’invitation controversée de Grand P et Eudoxie ou encore des obsèques des musiciens sponsorisées par le gouverneur Gentiny Ngobila, son cabinet n’a pas explosé le budget : 2.800.000 dollars dépensés contre les 5 millions initialement affectés.
 
La portion congrue pour l’investissement ; l’éducation, les transports et la sécurité oubliés

Jadis Kin La Belle, la répartition de son budget ne laisse pas transparaître une volonté d’en (re)faire une capitale moderne et audacieuse face à des défis majeurs comme ceux de la mobilité, de la sécurité et de l’éducation, trois domaines auxquels les institutions provinciales n’ont affecté aucun rond dans le budget de l’année 2020.
 
Dans cette ville où quasiment tout n’est même pas à refaire mais à faire, le budget loué à l’investissement apparaît insignifiant : 72 386 980 dollars. Parmi les investissements prévus, le projet phare « Kin Bopeto » censé rendre la ville propre en 5 ans. Lancé en octobre 2019, ce projet quinquennal était destiné à faire de la ville de Kinshasa un endroit où il fait bon vivre. Le ministre provincial Charles Mbuta Muntu s’en félicite malgré tout et en a détaillé les grandes lignes : « la réhabilitation de la route Elengesa, la réhabilitation du centre de mécanisation agricole de Menkao, construction de 4 centres de réinsertion des jeunes désoeuvrés, construction de 24 centres de tri, acquisition de tractopelles, de poubelles, de camions compresseurs, de pelles chargeuses, de moto tricycles, le nettoyage et l’embellissement des espaces publics, le reboisement des espaces publics dans le cadre de l'initiative 1 milliard d'arbres pour le climat 2023, l'aménagement des aires d'évitement des artères principales et construction de l'avenue Kikwit, la démolition des constructions anarchiques, le curage des ouvrages d'assainissement, le remplacement des lampes à incandescence par des lampes LED sur les artères...»
 
Des trous dans la raquette

L’énumération des projets par le ministre est prolifique et… vague et il apparaît clairement que de nombreux projets n’ont pas connu des débuts de commencement malgré la sortie d’une partie de fonds qui leur étaient alloués. Les 18.000 dollars décaissés pour la réhabilitation du centre de mécanisation de Menkao ont été manifestement détournés, les 4 centres de réinsertion annoncés personne n’en connaît l’adresse...
 
Gode Mpoyi : « Le budget idéal pour Kinshasa serait 3 milliards de dollars au lieu de 750 millions aujourd’hui »
 
Kinshasa vivote, c’est ce qui ressort des propos du président de l’assemblée provinciale de cette ville qui déplore la faiblesse de son budget et les moyens dont la prive l’État depuis 2006 : « D'après la constitution, il est dit clairement que les provinces doivent opérer à la source une retenue de 40% de toutes les recettes réalisées. Le gouvernement central ne nous a pas autorisé à le faire. L’État encaisse d’abord ensuite pour récupérer notre quote-part, il faut prier… ».
 
Le président de l’assemblée provinciale insiste sur la faiblesse des moyens et il n’a pas totalement tort : le budget de Kinshasa qui avoisine les 500 millions de dollars représente environ 29 dollars par habitant contre 46 dollars par habitant pour Dakar la capitale du Sénégal et 2.000 dollars par habitant pour Nantes, la sixième ville de France. On peut y ajouter un parallèle, il est vrai biscornu : le budget du club de foot Paris Saint-Germain dépasse celui de la ville de Kinshasa d’au moins 100 millions de dollars. Autre pesanteur en défaveur de Kinshasa : Dakar ne s’étend que sur 83 km², Nantes sur 65 km² alors que Kinshasa c’est… 9.965 km², ce qui souligne la difficulté d’aménager un  territoire si grand avec si peu de moyens.
 
Les projets non réalisés, les chantiers qui s’éternisent, la mue lente de la ville capitale, Gode Mpoy a sa ritournelle : « c’est parce que le mécanisme de rétrocession aux provinces n’est pas respecté en violation de la constitution. »

Une enquête réalisée par : Christelle Insiwe, Gloria Mbuya Mutala, Botowamungu Kalome, Merveil Molo et Moïse Dianyishayi

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