Le Goncourt 2021 décerné à « la Plus Secrète Mémoire des hommes » de Mohamed Mbougar Sarr



Le récit de ce jeune écrivain sénégalais a séduit les jurés de tous les prix prestigieux (Académie, Goncourt, Renaudot), alors qu’il est publié dans une petite maison indépendante. Quel est son secret ?

Les mauvais esprits, persuadés que les prix littéraires ne sont décernés qu’aux auteurs des maisons les plus hardiment compromises avec le Tout-Paris des lettres, devront cette année reconnaître leur défaite. Car le Goncourt 2021, annoncé ce mercredi 3 novembre, revient à « la Plus Secrète Mémoire des hommes », quatrième roman de Mohamed Mbougar Sarr, un écrivain sénégalais de 31 ans né à Dakar (Sénégal). Le contraire d’un roman « né pour gagner ».

Il a en effet été coédité par les éditions Philippe Rey - maison de taille modeste, connue surtout pour abriter l’une des plus grandes autrices américaines, Joyce Carol Oates – et par Jimsaan, basée au Sénégal. Ni Gallimard, ni Grasset, ni Seuil, donc. Et Mbougar Sarr ne fait aucunement partie du « milieu ». Arrivé à Compiègne (Oise) après un bac passé au Sénégal, il ne travaille dans aucune maison parisienne, continue d’habite dans l’Oise et n’a, avant Philippe Rey, été publié que chez Présence Africaine.

Philippe Rey reconnaît d’ailleurs que même s’il l’avait voulu, il n’aurait « pas eu les moyens de sortir l’artillerie lourde » en termes de séduction-corruption des jurés parisiens.

23 demandes de traductions

Or, non seulement « la Plus Secrète Mémoire des hommes » a conquis ceux du Goncourt, mais il est arrivé dans les dernières sélections du Grand Prix de l’Académie et du Renaudot. Un triplé assez rare, qui se conjugue à de très bonnes ventes inattendues – le roman a déjà connu plusieurs réimpressions et est diffusé à 30 000 exemplaires – et à un « nombre record » pour Philippe Rey de demandes de traductions, puis vingt-trois pays sont intéressés !

Mais qu’y a-t-il donc dans ce récit qui provoque une telle unanimité ? D’abord une histoire, accrocheuse en diable. Elle raconte la quête d’un jeune écrivain sénégalais, Diégane Faye, parti sur les traces d’un mystérieux auteur, T.C. Elimane. Ce dernier a publié en 1938 un chef-d’œuvre, « le Labyrinthe de l’inhumain » qui lui vaut d’être qualifié de « Rimbaud nègre » et d’être porté aux nues par la critique de l’époque. Mais hélas, T.C. Elimane a sombré dans le déshonneur après qu’un chercheur a trouvé son « Labyrinthe » trop copié-collé sur une cascade d’auteurs classiques.

De fait, on ne sait jamais – et c’est le choix de Mbougar Sarr – si l’auteur mis au ban est un reconstructeur de génie ou un simple plagiaire. Et si sa chute était le prix à payer pour avoir écrit un immense livre, de ceux d’on se dit, comme Diégane, qu’après, « plus rien n’est à ajouter » ?

Elimane est un personnage inventé par Mbougar Sarr. Mais cet ex-doctorant en littérature à l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS) – il a abandonné sa thèse – s’est clairement inspiré de l’aventure tragique, authentique celle-là, de Yambo Ouologuem. Cet écrivain malien fut accusé au début des années 1970, peu après avoir reçu le Renaudot, d’avoir un peu trop « emprunté », entres autres à Graham Greene et André Schwartz-Bart. Il est rentré dans son pays, humilié et serait, dit-on, devenu un peu fou.

Labyrinthe narratif

Mais « La plus secrète mémoire des hommes » n’est pas seulement une bonne histoire. C’est aussi un récit très solidement campé, c’est-à-dire franchement ambitieux en termes de construction. On sent bien que son auteur a dévoré Borges, Bolaño, Gombrowicz et quelques autres bâtisseurs de labyrinthes narratifs.

De fait, le roman est construit sur une succession de récits enchâssés, s’appuyant sur divers formats de narration (journal intime, articles de presse, mail…), se déroulant à diverses périodes historiques (Première Guerre Mondiale, années 1930, Occupation, période actuelle…) et dans plusieurs villes (Paris, Buenos Aires, Amsterdam, Dakar). Et pourtant, petit miracle : le lecteur ne s’y perd jamais.

Il savoure de surcroît une langue élégante, d’une grande fluidité, et capable de mots d’auteurs jamais guettés par la lourdeur - ce qui n’est pas si courant. On aime particulièrement sa petite vacherie sur l’écrivain qui « à force d’être dans l’air du temps, finira enrhumé ». On souhaite à Mbougar Sarr de garder longtemps sa bonne santé.

A noter : l’Académie Goncourt se compose désormais de Didier Decoin (président), Pierre Assouline, Tahar Ben Jelloun, Pascal Bruckner, Françoise Chandernagor, Philippe Claudel, Paule Constant, Camille Laurens, Patrick Rambaud et Eric-Emmanuel Schmitt.

Arnaud Gonzague

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