La Danse du Vilain, entre Congo et Angola, jazz et rumba



Impossible de terminer (ou commencer) l’année sans vous proposer une (dernière) petite danse. On l’appelle La Danse du Vilain mais on parie qu’elle vous plaira. Elle est au coeur du dernier roman d’un enfant du Congo : Fiston Mwanza Mujila, rendu célèbre par son Tram 83, paru en 2014.

Vous accepterez bien une dernière / première danse ? Nietzsche pensait qu’une journée sans danse était une journée perdue et Platon en soulignait la dimension éducative. Qui oserait contredire ces deux-là ? D’autant que la danse évoquée ici marie le jazz et la rumba, les beautés du Congo et de l’Angola dans le sillage de la fameuse Tshiamuena, « Madone des mines de Cafunfu » .

Entre trafic de pierres précieuses et boîtes de nuit frénétiques, entre Angola en pleine guerre civile et Zaïre au bord de l’explosion, Fiston Mwanza Mujila reprend son exploration de la débrouille déjà à l’oeuvre dans Tram 83. Toute la vitalité et le charme de son premier roman sont convoqués de plus belle pour cette nouvelle chorégraphie imaginée dans une ambiance de fin de règne (celle du président Mobutu), entre dictature et guerre civile, entre corruption et rébellion.

Son roman est bâti autour de la figure de Tshiamuena, dite la Madone des mineurs, une « sorcière » aux vies et aux pouvoirs multiples qui lui a été « inspirée » par sa grand-mère. Une « forte femme » qui tenait un bar dans un quartier populaire de Lubumbashi, dans la commune de Katuba. Enfant, il y a passé de longues heures, chaque été, à ranger les chaises et les caisses de bière en écoutant un flot ininterrompu de musique congolaise. Pas étonnant que le bar de son enfance se retrouve au coeur de ses deux romans à la gouaille incomparable. Pour compléter le tableau de son nouveau récit, l’auteur convoque une autre des idoles de sa jeunesse, le célèbre Papa Wemba, roi de la rumba congolaise…

A défaut d’être devenu musicien, Fiston Mwanza Mujila joue avec les mots comme avec les sons

Installé depuis une dizaine d’années à Graz, cité universitaire au sud-est de l’Autriche, Fiston Mwanza Mujila, 39 ans, est originaire de Lubumbashi, capitale minière de la République Démocratique du Congo (RDC), raison pour laquelle il comprend si bien le destin et les nombreux démêlés de l’Angola voisin.

« J’ai toujours voulu être saxophoniste mais cela n’a pas été possible parce que dans ma région, il n’y avait pas un seul café-jazz, pas d’école de musique, pas un seul saxophone… Alors je me suis retrouvé avec mes mots. Quand j’écris, je travaille avec les mots comme des notes, comme si c’était une partition » confiait-il à La Libre dès 2011.

« Ces pages ont été écrites souvent la nuit, bercées par le jazz sud-africain et la rumba zaïroise » écrit-il dans son nouveau roman. La rumba qui « participe de l’identité congolaise et unit le pays ».

Laissant de côté son rêve de devenir saxophoniste, Fiston Mwanza Mujila a opté pour la poésie mais la musique est restée au coeur de sa vie.
« Je suis un poète qui écrit des romans », dit-il. On ne s’étonnera pas qu’il joue à ce point avec les mots, les faisant rouler sur sa langue pour mieux les déverser ensuite à travers ses récits foisonnants.

Chantre des répétitions et des énumérations qui sonnent, il déclame d’ailleurs souvent sa prose en compagnie de musiciens. Aujourd’hui, ce jazz déjà très présent dans Tram 83, Fiston Mujila le convoque sur scène. En Autriche, il s’est produit avec un batteur et un saxophoniste. En Allemagne, il était récemment entouré de musiciens de jazz, refermant ainsi la boucle du son.

Tram 83 et La Danse du Vilain partagent son goût du récit burlesque et l’attention accordée au « petit monde » qui se croise dans les bistrots, réuni par l’amour de la musique, le sens de la débrouille et le goût de la fête.

Cette fois, Fiston Mwanza Mujila concentre toute son attention sur les gamins de rue, petit peuple qui règne sur la nuit, chauffé par la colle, chassé par la misère et la guerre. Un monde organisé, hiérarchisé, avec ses rituels et ses spécialités (vols, chantage, mendicité) d’où émergent des personnalités étonnantes: Molakisi, Sanza, Ngungi… Une humanité qu’il décrit avec tendresse et soin dans son nouveau roman luxuriant, publié aux Editions Métailié.

Karin Tshidimba

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Ali Kalonga

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