Par Marie-France Cros. 

Edité à compte d’auteur, “Amsoria” est un premier roman d’une Congolaise de Belgique, Lilia Bongi. Elle le présente comme un roman mais, à vrai dire, durant la plus grande partie de l’oeuvre, le lecteur croit tenir en ses mains une autobiographie tant le récit sonne vrai. Celle d’une fillette congolaise, Lily, arrachée à 10 ans à sa famille de Kinshasa, pour être envoyée par un père distant poursuivre sa scolarité en Belgique avec un de ses frères. Elle y vivra chez des tuteurs flamands et catholiques d’abord, wallons et protestants ensuite, peu éduqués à chaque fois.

Notre coeur saigne pour la fillette, abandonnée à des inconnus, que l’auteure montre imbus de leur générosité, parfois racistes, souvent mesquins; devant faire seule son apprentissage dans  une société inconnue; affrontant sans soutien les moqueries de camarades de classe; ne mangeant pas toujours à sa faim.

Singulières absences d’amour

Le récit frappe surtout par l’absence d’amour dans le monde de l’enfant: chez le père, qui, au Congo déjà, finance nourriture et école des enfants mais ne s’en occupe pas, leur préférant ses occupations et ses maîtresses; entre le père et la mère, mariée contre son gré; chez ces deux parents qui conduisent Lily et son frère de 12 ans à l’aéroport de Kinshasa sans rien leur expliquer de leur voyage vers “Mputu” (l’Europe), ni même les embrasser. Chez Lily qui, retrouvant en Belgique une autre soeur et un autre frère, se rend compte alors seulement… qu’elle ne les avait plus vus depuis quelques mois. Chez le père encore, de passage en Belgique, qui ne voit Lily que quelques minutes en classe, lui parle à peine et ne l’embrasse pas, avant de partir vers ses affaires. Chez l’aîné de la fratrie, jeune adulte vivant à Bruxelles, qui ne viendra jamais voir les petits…

Dès que Lily quitte l’enfance, cependant, apparaissent les défauts du récit. C’est l’héroïne, alors, qui apparaît incapable d’affection – elle aura deux maris européens pour lesquels, à aucun moment, ne transparaît d’émotion – ou de se reconnaître un tort quelconque. L’absence de sentiments autres que la rancoeur chez Lily empêche alors de croire à la fin, très édifiante, du roman. Dommage.



Cinq stylistes nés en Afrique mais vivant en Italie ont ouvert mercredi la Fashion week féminine de Milan. Voici les parcours accidentés de ces créateurs qui tous revendiquent le label « made in Italy ».

– Fabiola Manirakiza, 50 ans, est née au Burundi, mais c’est au Zaïre (devenu République démocratique du Congo) qu’elle a appris à coudre, dans une école tenue par des soeurs italiennes.

Médecin de formation, elle a pu se nourrir de cette expérience quand elle a fondé en 2016 sa marque Frida Kiza en Italie, un hommage à l’artiste mexicaine Frida Kahlo.

Elle décrit son art comme « un mélange entre l’Afrique et l’Italie », comme ses foulards en soie à imprimés motif Massaïs qui s’inspirent de la peinture « Le printemps » de Botticelli.

– Claudia Gisèle Ntsama, 29 ans, née au Cameroun, avait décidé dès sa petite enfance de devenir styliste et de préférence en Italie, car « qui dit mode, dit Italie ».

Très déterminée, elle a appris l’italien pendant huit ans avant de débarquer dans son pays d’adoption en 2012.

Elle enchaîne des boulots de femme de ménage ou de contrôleuse à l’entrée de stades de football, puis décroche un diplôme de design à Bologne (nord), avant de « tomber amoureuse » du chanvre, « une des fibres les plus écologiques » et fonder sa propre marque.

– Mokodu Fall, 45 ans, originaire du Sénégal, caricaturiste, acteur puis artiste-peintre, est venu en Italie à l’âge de 22 ans « pour vivre une expérience de l’art de la culture ».

« Ma collection reflète surtout mes origines africaines », dit ce fils de diplomate qui partage sa vie entre Rome et Dunkerque dans le nord de la France.

« Ce sont des oeuvres d’art que je transpose sur des vêtements ».

– Joy Meribe, 43 ans, née au Nigeria, a quitté son pays car « les designers de mode n’y sont pas considérés comme prestigieux ».

« Je ne suis pas une styliste ethnique, je vis en Italie, j’ai fait des études en Italie et je produis en Italie », souligne Joy, qui a obtenu un master en business international avant de se lancer dans la mode.

Son inspiration? « Des femmes africaines fortes et intelligentes, comme mes grands-mères ».

– Karim Daoudi, né au Maroc il y a 27 ans, est arrivé à l’âge de 13 ans avec sa famille à San Mauro Pascoli dans le nord de l’Italie, « à la recherche d’un avenir meilleur ».

« A 17 ans, j’ai commencé à travailler dans un atelier de confection de chaussures pour de grandes marques », avant de remporter un concours de création de chaussures à Rome.

Sa collection, baptisée « Voyage dans la forêt », rassemble des chaussures dans des teintes vives qui lui rappellent le Maroc. Pour financer sa passion, il gagne sa vie comme postier.

source: lalibre.be



Son livre-album et son spectacle marient les auteurs et les influence musicales. L’artiste y réaffirme son amour du Congo et de la poésie comme « acte de résistance » et brandit l’art comme « miroir et ciment de notre humanité ». Un spectacle à voir sur France 5 à 22h50 et sur le net. (Vidéos)

Le jeune homme a fière allure avec son couvre-chef rouge, son épée et son drap bleu sur fond de paysage incendiaire que l’on aperçoit au loin. Face à ce visage serein et déterminé, Abd Al Malik se souvient avoir ressenti comme un flash, un appel impérieux. Quelle serait la vie de ce jeune intrépide s’il avait grandi en 2020 en banlieue ? Ce tableau, découvert au hasard d’une déambulation au musée d’Orsay à Paris, frappe son imaginaire et lui rappelle que « le combat pour la liberté, la reconnaissance et le fait d’être en paix avec soi-même et les autres est permanent. »

Face à ce personnage qui défie les siècles, l’auteur se met à réfléchir: comment parler de la place de chacun dans la société ? La culture et l’éducation « comme ciment d’une identité collective », voilà une thématique qui résonne en lui. Surtout lorsque comme lui, on a longtemps fait partie du « peuple de la périphérie ».

Un livre, un CD,
un spectacle

Puisant dans ses souvenirs d’enfance, dans ses racines congolaises et son amour de la poésie et de la littérature, l’artiste à la fois poète, écrivain, metteur en scène et rappeur compose un long texte dans lequel il redit son amour de sa terre d’accueil et son rejet des discriminations et de l’intolérance. Admiratif de la modernité de ce Jeune Noir à l’épée, Abd Al Malik se fait l’écho de la colère sourde qui se propage au même rythme que la misère dans les cités-dortoirs de France et d’ailleurs. Le texte bientôt devient chanson.

« Comment pourrais-je m’aimer si sans cesse je dois lutter ? On prône la paix, pas l’épée » scande-t-il en chœur avec ses complices les musiciens Matteo Falkone et Bilal.

Apres le livre-album coédité par Flammarion, Présence africaine et le musée d’Orsay, Abd Al Malik conçoit un spectacle avec la complicité du chorégraphe Salia Sanou. Sur scène, Malik se glisse dans la peau du jeune guerrier peint par Pierre Puvis de Chavannes en 1850. Quatre danseurs pantalon noir, torse et pieds nus, habitent la scène avec lui et se font les interprètes d’un mal être lancinant. La chorégraphie du Burkinabé met en lumière les zones de fracture et la ligne pas si claire d’une société souvent naufragée.

Artiste en France, ses racines au Congo font d’Abd Al Malik un « homme-pont »

Tour à tour, Abd Al Malik évoque son rapport avec Les Autres et la façon dont les mots l’ont sauvé, réminiscence de ce passé tourmenté à Strasbourg avant qu’il ne soit saisi par une autre passion chronophage, celle de la littérature et de la poésie. « Partout où l’homme souffre, il me voit dans ses rangs. Et dire que nous étions pharaons au bord du Nil » rappelle-t-il, dénonçant la « haine de soi » qui dérive d’un certain type d’enseignement.

Fidèle à son auteur, le spectacle mêle slam, danse, lecture et fait sonner les notes de jazz et de rumba, de rap et de salsa avec les mots de Brel, Renaud, Baudelaire, Édouard Glissant et Léo Ferré.

Être Français avec des racines poussées ailleurs lui a donné l’envie d’être un « homme-pont pour créer du lien entre les êtres. » Résonne ainsi Gibraltar, l’hymne qui l’a fait connaître à l’international en 2006 auquel répond aujourd’hui La Vida negra imaginée avec la chanteuse Wallen. Il y est question de migrations, de Virgil, de Black Orpheus, de l’Aquarius et de Lampedusa, et de ces naufrages qui entachent notre expérience d’être humain.

L’auteur de Qu’Allah bénisse la France (2004) y confesse dans un souffle: « J’ai mal à l’Europe. » Avant d’interroger: «peut-on dire que le monde a changé si ta couleur de peau te met encore en danger ?»

En texte, en musique ou en mouvements, le Jeune Noir a l’épée invite chacun à « faire un, à faire peuple ». Tandis que sur scène s’impriment les mouvements fluides des corps ondulants, l’artiste rappelle une évidence: « les deux pires ghettos sont la haine et la violence. »

Mis en images par Julien Faustino, le spectacle, enregistré à l’Opéra comique, est à voir ce vendredi à 22h50 sur France 5 et reste disponible en ligne jusqu’au 26/03 sur France 5 et jusqu’au 20/11 sur France.tv.

Karin Tshidimba



Une bande dessinée d’Antoine Ozanam et Isabelle Dethan revient sur l’histoire méconnue de celui que l’on surnommait le « Nègre de la République », cité comme exemple par Obama dans son discours d’investiture.

Né à Matanzas (Cuba) le 8 novembre 1836, arrivé en France dix ans plus tard, Severiano de Heredia est fréquemment présenté comme « le premier maire noir de Paris ». L’expression est plutôt caricaturale et il faut reconnaître au scénariste Antoine Ozanam et à la dessinatrice Isabelle Dethan le mérite de repréciser bien des choses sur la carrière de ce « mulâtre » dans la France de la fin du XIXème siècle, avec leur bande dessinée Severiano de Heredia, élu de la République.

« Qui est l’homme que Barack Obama cite dans son discours d’investiture et considère comme un exemple à suivre ? » se sont demandé les auteurs. Leur réponse tient en 56 pages : ligne claire, approche chronologique et pédagogique, refus des simplifications.

L’ascension d’un coureur de jupons

L’on suit donc la trajectoire d’un homme de son temps, épris de modernité. Fils de Henri de Heredia et de Béatrice de Cardenas, « gens de couleur libre », filleul (ou fils selon certaines rumeurs…) de Ignacio Heredia Y Campuzano, Severiano de Heredia nait dans l’opulence – sa famille est propriétaire d’une plantation et possède des esclaves. Envoyé en France à l’âge de dix ans, Severiano y fait de brillantes études au Lycée Louis-le-Grand où il remporte, en 1855, le grand prix d’honneur.

Dethan et Ozanam racontent un jeune homme beau parleur, dilettante, coureur de jupons et dandy qui finit par se décider pour une carrière de journaliste. Son talent comme son goût de l’intrigue et de la chose publique lui permettent de gravir rapidement les échelons, de rejoindre la loge « L’étoile polaire » du Grand Orient de France et de s’intégrer habilement dans les milieux politiques. Marié à Henriette Hanaire en 1868, il obtient sa naturalisation française deux ans plus tard, en 1870, au prix de savants calculs stratégiques.

Les auteurs de la bande dessinée n’hésitent pas à souligner les contradictions d’un homme aux idées libérales, mais issu d’une classe aisée. Un proche le conseille ainsi : « Si je puis vous parler sans détour… votre situation est quelque peu fâcheuse. Votre domaine aux Antilles exploite toujours des esclaves. Si vous voulez faire carrière en politique, je vous conseille de faire le ménage avant. Ce genre de… casseroles est exactement ce dont vous n’avez pas besoin ! » Réponse de l’intéressé : il est allé plaider à Madrid pour l’abolition de l’esclavage dans les colonies espagnoles… et pense vendre ses esclaves (… et non les affranchir !).

« Severiano de Heredia, élu de la République », d’Antoine Ozanam et Isabelle Dethan, Passés/composés biopic, 60 pages, 14,90 euros.

Laïcité et bibliothèques municipales

En 1873, engagé sous les couleurs républicaines, tendance radicale, Severiano de Heredia est élu au conseil municipal de Paris pour le quartier des Ternes et devient, six ans plus tard, président du conseil municipal de Paris. Ce poste est en fait essentiellement honorifique et limité à un an. De Heredia n’a en aucun cas les mêmes pouvoirs qu’un maire de Paris actuel. Tout l’intérêt de la bande dessinée est d’aller au-delà de ce cliché de « premier maire noir » en s’intéressant au réformisme social de l’édile. Certes, il s’est tenu loin de Paris au moment de la Commune (mars à mai 1871), mais une fois au pouvoir, il multiplie les initiatives sociales, comme la création des coopératives ouvrières, la défense de la laïcité et surtout la mise en place des bibliothèques municipales.

En 1881, Severiano de Heredia est élu à la chambre des députés (Union républicaine) comme député de la Seine… et perd au même moment son fils de 12 ans, Henri. « Et maintenant… maintenant, tout ce que je veux, c’est qu’il puisse avoir un enterrement laïque, sans passer par l’église. C’est ma façon de rendre hommage à la prunelle de mes yeux autant qu’aux lois que vient de faire passer Jules Ferry », dit-il alors. Réélu sous l’étiquette Gauche radicale, il devient ministre des Travaux public sous le gouvernement de Maurice Rouvier (IIIème République), poste qu’il occupera de mai à décembre 1887.

Favorable à la colonisation

Les auteurs, encore une fois, le présentent comme un homme pétri de contradictions : écœuré par l’exposition universelle de 1889 et ses zoos humains, blessé par les insultes racistes qu’il reçoit fréquemment (« Député chocolat », « Nègre de la République », « Nègre négrier fils d’une esclave et d’un bourgeois juif allemand »…), De Heredia n’en reste pas moins favorable à la colonisation.

Le gouvernement auquel il appartient œuvre à la laïcisation des hôpitaux et des cimetières, autorise le divorce. À titre personnel, le ministre fait voter la loi des réseaux métropolitains, se prononce pour la réduction du temps de travail des enfants de moins de 12 ans à 10 heures par jour et s’oppose au général Boulanger. En vain, il est battu aux élections de 1889 et 1893 par le candidat boulangiste Charles Le Senne.

HEREDIA NE FUT PAS VRAIMENT « PREMIER MAIRE NOIR DE PARIS »

Dethan et Ozanam accompagnent leur personnage après la fin de sa carrière politique : il le présente aussi comme un entrepreneur en avance sur son temps qui, en 1895, s’associe à Louis Antoine Krieger, pionnier de la voiture électrique, pour fonder la Société civile des voitures électriques, système Krieger… Severiano de Heredia meurt le 9 février 1901, terrassé par une méningite. Il est enterré au cimetière des Batignolles, quartier dans lequel une rue porte son nom depuis le 10 septembre 2013 grâce à l’initiative de l’élu socialiste Lamine Ndaw.

Il faut relire l’histoire de Heredia, aujourd’hui : ne serait-ce que pour éviter de lui coller l’étiquette de « premier maire noir de Paris», qu’il ne fut pas vraiment, et rendre justice à son humanité comme aux combats qu’il mena.

Severiano de Heredia, élu de la République, d’Antoine Ozanam et Isabelle Dethan, Passés/composés biopic, 60 pages, 14,90 euros.

source: jeuneafrique.com

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