Michael KAZADI a beaucoup voyagé. D’ailleurs, la rédaction de ce livre s’est faite entre Atlanta, Lomé et Boston. Ecrit à la première personne, le récit suit l’auteur de la fin de la période du règne du Président Mobutu à nos jours, faisant d’une histoire particulière le témoin de la grande histoire.
C’est aussi en filigrane le portrait d’un père loué pour l’amour de sa famille et sa raison : ancien de la Banque Centrale du Congo, énarque, fonctionnaire international, directeur de la Chambre de Commerce et d’Industrie Franco-congolais (CCIF), représentant de la République Démocratique du Congo à la Banque Africaine de Développement,… et confronté aux secousses de l’Histoire : l’entrée de l’AFDL en 1997, les troubles dans la Côte d’Ivoire et la Guinée des années 2000, …
C’est aussi tout en nuances l’amour d’un fils pour une mère toujours présente et alerte pour ses enfants : « ma mère, ayant vécu en Ethiopie lors de la chute de l’Empereur Haïlé SELASSIE et l’assassinat du Président de transition savait un peu comment se préserver en situation de crise politique pareille. Elle nous a expliqué où se placer dans la maison pour se préserver de tout danger. On vivait de grandes rations d’eau et de vivres à la maison au cas où on serait empêché de sortir ». Comment ne pas voir dans ce passage, l’écho de situations entre les générations.
Un regard lucide sur le monde
Ce propos est surtout le récit de la construction d’une identité et de l’intégration d’un jeune congolais balloté d’un établissement scolaire à un autre, d’une culture à une autre. C’est le discours d’un jeune homme confronté sans cesse, dans l’enfance, à l’inconnu, à la découverte de l’autre dans ce qu’il a de pire et de meilleur, et surtout à la révélation de soi. Il tire de ses expériences une lucidité effrayante et souvent singulière, n’hésitant pas à interroger le lecteur ou la lectrice : « je suis un grand admirateur de Napoléon, qui a fait la grandeur de la France et à qui elle rend hommage : avons-nous tort de ne pas nous arrêter sur certaines atrocités commises sous son commandement, notamment lors de l’insurrection royaliste du 13 vendémiaire ou lors du siège de Jaffa ? »
Il n’hésite pas pour résoudre les contradictions que le réel lui oppose, à délivrer un message politique. Le monde doit se repenser devant l’échec de la mondialisation et la République démocratique du Congo à un rôle fondamental à jouer. Il en vient à oser poser une éthique de soi face au monde et pourtant termine son discours par le constat d’une incertitude fondamentale : « en fait, nous sommes perdus ; perdus à la recherche naturelle du bonheur éternel ».
Un écrivain de la sincérité
Michael KAZADI a une prose particulière. Il aurait pu vouloir compenser sa jeunesse par des écrits sophistiqués, tenir des propos alambiqués ou vouloir avec acharnement utilisé tous les mots du Larousse et du Littré : il n’en est rien. Son écriture est simple, parfois enfantine, comme l’illustre assez bien le dialogue entre son frère Jacques et Riantsoa. Et ça fonctionne !
Pourtant, on est loin de l’écriture sociologique d’Ange KASONGO dans Les femmes de Pakadjuma, de l’observation clinique d’Eric NTUMBA dans Une vie après le Styx ou de la musicalité de Yolande ELEBE MA NDEMBO dans Je voterai. Cependant, il partage avec eux une valeur cardinale : la sincérité.
Ces écrivains témoignent chacun de notre époque tourmentée à leur manière dans un ton qui leur est propre. Oubliée, la littérature d’émancipation coloniale qui emmenait le lecteur à vouloir pourfendre l’oppresseur ; abandonnée, la littérature post-indépendance qui traitait de l’incurie des dirigeants et des potentats du continent. Ici, on célèbre le fait d’exister malgré tout et en dépit de tout comme Sifa dans la barbarie de la guerre à l’Est du Congo dans Une vie après le Styx, tel ces femmes vendant leurs corps pour quelques billets aux portes de la République de Gombe dans le ghetto de Pakadjuma, ou ce votant qui en appelle à l’expression collective de la liberté et de la démocratie dans « Je voterai ».
Le « je » de ce récit existe et veut désespérément exister au-delà de la fratrie, au-delà de sa famille : « Lorsque nous changions d’écoles par exemple, c’était bien plus que l’école qui changeait : c’était toute notre identité qui changeait ». Ce « je » est porté par une interrogation fondamentale : Que diront-ils moi ? L’auteur a le sens du devoir et il est donc aisément compréhensible que les derniers chapitres de ce livre soient à caractère politique : exister finalement n’est-ce pas se penser soi, le monde et la cité ?
Et finalement que penser…
La maturité des propos tranche avec la jeunesse de l’auteur rendant le récit attachant. L’écriture aisée et sans fioritures ballade le lecteur de récits initiatiques à un argumentaire se voulant philosophique et politique sans en avoir la prétention. C’est un discours qui vaut la peine d’être entendu et mérite d’être écouté. Michael KAZADI est le produit de son siècle et surtout d’une frange de la population congolaise toujours plus nombreuse, nourrie par des cultures diverses et surtout attachée à ses racines, se projetant dans un monde à la complexité grandissante. Il incarne, comme le grand roi dont il s’est octroyé le prénom, le carrefour entre l’ancien et le nouveau, entre ce qui devrait toujours être et ce qui sera.
Il faudra un jour que les politiques ouvrent de manière raisonnée et raisonnable un débat sur la diaspora car plus qu’un débat politique, c’est un enjeu identitaire et social qui ne peut se trancher de manière radical. Ces enfants coincés aux confins de plusieurs mondes, ils sont nous tout en étant eux.
Après avoir lu Que diront-ils de moi ? paru aux Editions Saint-Honoré, nous pourrons prêter à Michael David KAZADI les mots de Rodrigue dans Le Cid : « Je suis jeune, il est vrai ; mais aux âmes bien nées, la valeur n’attend point le nombre des années ».
Professeur Madimba KADIMA-NZUJI