HISTORIQUE. Pour la première fois, une équipe africaine fait partie du dernier carré d’un Mondial. Une épopée qui fait rêver plus d’une fédération.
Et si le parcours du Maroc à la Coupe du monde qui se déroule au Qatar était plus qu'anecdotique ? De nombreux éléments démontrent que les dirigeants du football marocain, en prenant diverses initiatives, se sont attelés ces dernières années, au-delà du fait de construire une équipe nationale de qualité, à insuffler un état d'esprit nouveau, décomplexé, qui a conquis les supporteurs et maintenant le monde entier. Et cela, dans une logique implacable du plus petit niveau jusqu'au sommet. Après avoir brisé un plafond de verre en devenant la première sélection africaine ou d'un pays arabe à entrer dans le dernier carré d'un Mondial, le Maroc peut en effet compter sur le soutien de tout un continent, dont il porte les espoirs, en défiant les tenants du titre français pour une place en finale. Pour le football africain, cette trajectoire inspire et semble même annonciatrice d'une nouvelle ère. Comment le pays en est-il arrivé là ? Quels éléments lui ont permis d'être devant les plus grandes nations du football en Afrique et comment l'Afrique peut-elle s'inspirer de l'épopée des Lions de l'Atlas pour les prochaines échéances internationales ?
Un processus de refonte du football marocain entamé en 2009
Alors que son football était en crise durant les années 2000, le Maroc a connu deux tournants majeurs. D'abord, l'année 2009, qui a marqué l'inauguration de l'académie Mohamed-VI, entièrement financée par le roi, à hauteur 140 millions de dirhams (13 millions d'euros), avec l'objectif clair de mettre l'accent sur la formation de futurs talents, à l'image de Nayef Aguerd (West Ham), Youssef En Nesyri (Séville) ou encore de la grande révélation Azzedine Ounahi (Angers). Axée essentiellement sur la formation, l'académie n'a pas pour vocation de disposer d'une équipe sénior, mais de fournir l'équipe nationale, et dans un second temps le championnat.
Ensuite, il y a eu l'année 2014, qui coïncide avec l'arrivée de Fouzi Lekjaa à la tête de la Fédération marocaine de football. Ce dernier s'est attelé à rebâtir une organisation sur la base d'une gouvernance fluide et transparente, ce qui a permis de hisser le niveau du football marocain sur tous les plans.
Résultat, en quelques années, le Maroc est devenu le pays leader sur l'évènementiel footballistique africain grâce à des infrastructures de haut niveau, notamment des stades aux normes internationales, ce qui lui a permis de présenter sa candidature pour l'organisation de la Coupe du monde (en 1994, 1998, 2006, 2010 et 2026).
Au niveau sportif, possédant le meilleur championnat d'Afrique, le football marocain a généré trois Ligues des champions, quatre Coupe des confédérations, quatre Supercoupes de la CAF, ainsi que deux CHAN de suite (2018, 2021), l'édition de 2023 en Algérie.
Le Maroc fait fort également dans le football féminin, où la sélection nationale a terminé finaliste de la CAN (organisée au pays) en 2022, et le FAR Rabat a remporté la deuxième édition de la Ligue des champions, également organisée sur son sol. La victoire peut souvent paraître anecdotique, mais, dans ce cas, il pourrait bien s'agir d'une conséquence des avancées notables qu'il y a eu ces dernières années dans le sport roi en général.
Walid Regragui, la pièce manquante ?
Toutefois, l'équipe nationale A n'a pas encore su profiter de cet élan, malgré une régularité notable depuis le passage de Hervé Renard à la tête de la sélection. N'ayant jamais pu transposer ces performances au niveau de l'équipe nationale A, que ce soit à la CAN, où le Maroc n'est pas allé au-delà des quarts de finale lors des trois dernières éditions, et à la Coupe du monde, où la sélection, très compétitive, n'avait pas su concrétiser ses chances en 2018.
L'arrivée du technicien de 45 ans au mois d'août dernier Walid Regragui s'avère déjà comme le chaînon qui a manqué au pays pour matérialiser ses nombreuses potentialités. Il faut dire que le coach a guidé le FUS Rabat (2014-2020) jusqu'au titre de champion en 2016 et le Wydad Casablanca. Sa maîtrise du football marocain et africain et ses succès ont fait de lui le profil idéal pour amener son pays à ce niveau, jamais atteint. Pour illustrer cette alchimie, le passeur du but qualificatif d'En Nesyri face au Portugal est Yahya Attiat-Allah, latéral gauche du Wydad. Ce n'est pas une coïncidence non plus si le forfait de Nayef Aguerd (ancien joueur du FUS Rabat sous Regragui) puis la blessure de Romain Saïss ont été brillamment compensés par la présence de deux anciens tauliers du Raja Casablanca, Jawad El Yamiq et Badr Benoun, ainsi qu'Achraf Dari, tout juste vainqueur de la Ligue des champions avec Wydad. Si l'on y ajoute la richesse du vivier de binationaux dont le Maroc dispose et l'attractivité dont jouissent les Lions de l'Atlas pour attirer les Marocains expatriés, Regragui a démontré sa capacité à s'appuyer sur ces deux forces. Bien que le Maroc coure après un sacre continental depuis 1976, et que la Coupe d'Afrique des nations soit une tout autre réalité, cette épopée lors d'un Mondial est une consécration pour un football qui est sur une très bonne trajectoire sur les dix dernières années. La performance du onze marocain vient aussi effacer une longue période d'échecs sportifs essuyés par le pays.
Une grande victoire pour l'Afrique à l'approche du Mondial à 48 équipes
Alors que le nombre de places attribuées à l'Afrique dans un Mondial au format de 32 équipes permettait très difficilement aux sélections de travailler dans la continuité et d'acquérir cette expérience, la réussite du Maroc tombe à pic. L'Afrique n'a peut-être jamais été aussi compétitive sur un Mondial, chaque équipe ayant remporté au moins un match et joué une qualification jusqu'au bout du suspense. Trois sélections africaines avant elles avaient échoué à franchir le cap des quarts de finale. « Les générations qui vont arriver sauront que le Maroc peut faire des miracles », a lancé, fier, le gardien Yassine Bounou.
Ainsi, l'Afrique a réussi à démontrer qu'elle est en mesure de se mettre au niveau des meilleurs et de faire plus en appréhendant mieux certains détails clés. C'est une tendance bien évidemment à confirmer, mais qui démontre la qualité du niveau de la dernière Coupe d'Afrique des nations, qui a proposé d'épiques rencontres, et qui rendra la prochaine édition en Côte d'Ivoire explosive. Avec neuf pays qualifiés d'office pour le Mondial, voire dix à condition de remporter le futur barrage intercontinental, le continent aura l'occasion d'emmener ses meilleures équipes sans souffrir d'un terrible tour éliminatoire, inégal en comparaison avec les autres continents. « On entre dans l'histoire. On met l'Afrique dans les quatre meilleures équipes mondiales. C'est une fierté énorme pour moi », a confié à l'AFP Walid Regragui, le sélectionneur du Maroc, après la qualification historique de son équipe pour les demi-finales du Mondial 2022 aux dépens du Portugal.
Aujourd'hui, le succès du Maroc inspire, notamment sur le plan de la formation, à travers l'académie Mohamed-VI, qui est une initiative publique, contrairement à ce qui se fait partout en Afrique. Il faudra également investir dans les infrastructures ainsi que dans la diffusion et la sensibilisation afin que tous les efforts diffusent à tous les échelons et ne se limitent pas à l'équipe nationale A. Bien que tout ne soit pas parfait, notamment au niveau du championnat, où plusieurs clubs peuvent connaître des difficultés économiques importantes, le parcours des Lions de l'Atlas est de bon augure en vue des prochaines échéances. Il est d'ores et déjà capital pour le football africain de tirer les enseignements de cette Coupe du monde pour passer au cap supérieur.
Abdoulaye A. Sall