Cet art musical congolais, inscrit au Patrimoine culturel immatériel de l’Unesco mardi 14 décembre, compte un orchestre fameux et de nombreux adeptes à Bukavu, dans le Sud-Kivu.
Dès que les premières notes de Mpenzi Asha retentissent, toute la salle est debout. Le saxophone entraîne les corps sur la piste de danse. Genoux fléchis, les mains au niveau du bas-ventre, les hanches des spectateurs ondulent de droite à gauche. La chanson du groupe congolais Grand Mike Jazz est un classique depuis la fin des années 1990.
En octobre, elle a été jouée par l’orchestre sur la scène du festival Rumba Parade, organisé pour la première fois à Bukavu, l’une des principales villes de l’est de la République démocratique du Congo (RDC). « C’est ici que nous avons tous découvert notre passion pour la rumba », se souvient le chanteur Déo Kanoziré. Adolescent, il ne manquait jamais un concert des vedettes de la région. Tous jouaient à La Pirogue, un bar mythique du chef-lieu de la province du Sud-Kivu. Le futur alto y a rencontré son idole, Rachid King, dans les années 1970.
Les succès scéniques de ce compositeur dépassent rapidement les frontières du Maniema, sa région d’origine, située dans le centre-est du pays. En 1968, le gouverneur de Bukavu lui demande de s’installer dans son agglomération et d’y monter une formation musicale. Rachid King crée le Grand Mike Jazz, dont le nom s’inspire de la rivière Mikelenge, qui traversait son village natal. « A l’époque, tout le monde avait les yeux rivés sur la capitale, Kinshasa, considérée comme le berceau de la rumba. Pourtant, ici, à plus de 2 500 kilomètres, le groupe s’est approprié ce style musical. Il mélangeait rythmes modernes et traditionnels et chantait en dialectes », reprend Déo Kanoziré.
Société des ambianceurs et des personnes élégantes
Autant dire que le classement de la rumba congolaise au Patrimoine immatériel de l’Unesco, annoncé mardi 14 décembre, est une fierté pour tout le pays, et pas seulement à « Kin ». Aujourd’hui, la formation Grand Mike Jazz compte encore huit membres, qui font vivre le répertoire dans tous les lieux de spectacle de l’est de la RDC. Certains sont fiers d’être montés sur scène avec la star fondatrice, comme Djomalie Kabugi, l’un des doyens du groupe. A presque 70 ans, il continue de chanter énergiquement en kiswahili, la langue majoritairement parlée dans la zone.
Parés de chapeaux et de vestes en tweed taillées sur mesure, ces « vieux papas », comme ils se surnomment eux-mêmes, soignent leur look à chaque prestation. Ils ne se disent pas « sapologues », mais ont certainement été influencés par la Société des ambianceurs et des personnes élégantes (SAPE), un style vestimentaire né dans la capitale et popularisé par le « roi de la rumba », Papa Wemba. Mais « il n’y a pas que Kinshasa ! » réplique Frédéric Kalumuna, président de Grand Mike Jazz. « Là-bas, les orchestres meurent avec leur fondateur. Mais dans l’est du pays, nous sommes encore là, malgré la mort de Rachid King, en 2013. Et notre objectif est que Grand Mike Jazz nous survive », poursuit le percussionniste.
Dans la ville d’origine du groupe, il suffit d’allumer la télévision ou d’entrer dans un restaurant pour entendre résonner les rythmes congolais. Les jours de fête, de mariage ou même de victoire de l’équipe régionale de football, les « toumbas » (tambours) et les maracas enflamment les enceintes. « J’ai d’abord subi la rumba avant de la connaître », ironise Joyeux Bin Kabodjo, directeur de l’espace culturel Kwetu Art, à Bukavu. Durant toute son enfance, il a écouté les airs qu’appréciait son père, diffusés par l’unique poste de radio de la maison, « sans avoir le choix ». Progressivement, ils se sont imposés dans son quotidien sans qu’il s’en aperçoive. « Jusqu’à ce qu’un jour, je les aime. J’ai même utilisé les paroles de la chanson Eau Bénite [du chanteur de rumba congolais Simaro Lutumba] pour draguer ma première copine ! », poursuit le jeune humoriste de 25 ans.
A la fois danse sensuelle et musique folklorique
La rumba est devenue un « élément très représentatif de l’identité du peuple congolais », selon la ministre de la culture, Catherine Kathungu Furaha, qui a plaidé pour l’inscription de cette musique sur la liste de l’Unesco. Un dossier porté par la RDC et le Congo-Brazzaville, alors que, selon la tradition, la rumba est née dans l’ancien royaume Kongo, où l’on dansait la « Nkumba » nombril contre nombril. Avec la traite négrière, ce rythme s’est exporté jusqu’à Cuba, aux Antilles et en Amérique, avant de s’imposer à nouveau sur le continent africain à partir des années 1940.
Ces mélodies sont avant tout une histoire d’héritage. « Même les artistes actuels utilisent les techniques des anciens », explique Petit Wendo en fredonnant Marie-Louise, sa chanson favorite, composée en 1948 par Wendo Kolosoy, dit « Papa Wendo », considéré comme le père de la rumba congolaise. Petit Wendo s’est imposé sur la scène kinoise en reprenant les tubes de son mentor et fait un tabac lorsqu’il se produit dans l’est du pays. Aujourd’hui, les jeunes chanteurs « ne peuvent pas faire l’impasse sur ce style », indique-t-il