Confidences du chauffeur du ministre :
... Comme tous les matins, de bonne heure, je suis présent à la résidence ministérielle, pour le service du jour. Comme tous les matins, je suis accueilli par le gardien à l'entrée, puis par le garde du corps, puis par la domestique, puis par le jardinier. Ici. C'est un rituel, et cette ronde me permet à chaque escale des salamalecs matinaux, de recueillir des bribes de rumeurs au taux du jour. Peu de nouvelles aujourd'hui, ni de la part du gardien à l'entrée, personnage indiscret; ni de la part du garde du corps toujours sur ses gardes; ni de la part de la domestique, une vraie pie; ni de la part du jardinier, homme sage et pondéré. Pas de nouvelles donc aujourd'hui, sauf peut-être la visite inattendue du cousin "sang-pour- sang" de notre ministre d'État: le professeurrr (on roule, s'il vous plaît, la dernière syllabe avec respect...). Visite d'autant plus impromptue, d'après le gardien à l'entrée, que le cousin-professeurrrr a débarqué avec sa femme et ses deux enfants dont l'un attend la fin de la grève des enseignants pour s'inscrire à l'université. La domestique a renchéri en m'expliquant que cet exil serait indépendant de la volonté du cousin-professeurrrr, expulsé récemment de son logis de locataire pour insolvabilité.
Je venais à peine de ponctuer la conversation à bâtons rompus avec la domestique lorsqu'est apparu le jardinier en compagnie justement du fameux cousin-professeurrrr. Toujours direct et affable, le professeurrrr m'a expliqué, comme dans une sorte de confidence, combien les temps sont durs, comment il a résolu de trouver des solutions urgentes pour la survie, en taillant un périmètre en friche dans l'immense jardin du ministre, afin de le transformer en champ agricole. Le professeurrr m,a dit y avoir déjà enfoui des graines de haricots, d'arachides et de maïs ainsi que des boutures de légumes "kikalakasa" et du safoutier. Le prof m'a expliqué aussi, la larme au coin de l'oeil, qu'il devenait difficile de nouer les deux bouts du mois, difficile de se concentrer sur deux bouts de sa logique scientifique ; il m'a montré également comment son d'embonpoint habituellement rondelet s'est rétréci au point d,échapper à l'étau d'une ceinture d'ailleurs passablement rognée... Le prof a évoqué avec émotion le sort de son fils nouvellement inscrit à l'université et victime collatérale d'un papa prof gréviste !
Puis, le cousin-professeurrrr a empoigné une houe et s'est mis rageusement à creuser le sol, aidé en cela par le jardinier. Entre deux coups de houe, le prof prenait un petit temps pour tisser un autre trait qui prolonge la conversation à bâtons rompus. Il tenait à me prendre à témoin, je ne sais pourquoi, sur le cas malheureux de son fils candidat universitaire, de plus en plus impatient, de plus en plus révolté. Fils révolté contre le monde entier. Révolté contre ce qu'il appelle "les logiques sophistiquées des profs". Révolté contre "les tours de Babel des disciples indisciplinés ". Contre "les tours d'ivoire des vieilles têtes tondues mais couronnées"
YOKA Lye