Il est difficile de faire deux pas dans la rue à Kinshasa sans croiser une femme qui pare sa tête avec des mèches. Ces faux cheveux sont, en réalité, du plastique non biodégradable, car ils sont fabriqués à base des produits pétroliers. Curieusement, ils sont souvent abandonnés dans la nature après leur utilisation.
Même un tour dans les salons de beauté et magasins de vente de ces mèches qui jonchent toute la ville suffit pour se rendre compte de l'engouement de la gente féminine kinoise pour ces postiches.
Le mercredi 20 juillet 2022, un reporter de 7SUR7.CD a visité plusieurs magasins qui vendent uniquement ces capillaires dans la commune de Ngaliema, précisément sous le saut-de-mouton de Pompage, à la place Kintambo-Magasin, à Delvaux et à l'UPN.
Toutes les maisons visitées ont un point commun. A coté de la vente des mèches qui y est l'activité principale, on y trouve également des tresseuses, qui soit sont au service du propriétaire du magasin, soit elles travaillent pour elles-mêmes mais rétrocèdent une commission à la fin de la journée au patron du magasin. Certains de ces patrons sont des indo-pakistanais ou chinois.
Pour avoir une idée sur le commerce des mèches, nous avons interrogé Nana Masamba, propriétaire d'un magasin sur l'avenue Kwango à Kintambo-Magasin.
« C'est un bon business, sinon vous ne verrez pas toutes ces femmes devant le magasin en train de se faire tresser. Il est difficile de vous dire avec précision combien de paquets je vends par jour. Mais s'il faut que je fasse une estimation c'est entre 200 et plus. Toutes ces femmes qui se font tresser dehors achètent leurs mèches ici. Plusieurs autres achètent uniquement pour aller faire la tresse ailleurs », nous a-t-elle raconté.
Et pour M. Jacquie, une mère célibataire et tresseuse interrogée dans un magasin à Pompage, c'est grâce au business des mèches qu'elle joue son rôle de mère.
« Il m'arrive de tresser plus de 5 personnes par jour. Mais tout dépend de la chance. A la clôture de la journée, je remets une partie de mes recettes au gérant du magasin vu que nous utilisons l'entrée de son magasin. C'est ce que je gagne ici qui me permet de subvenir aux besoins de mes 2 enfants vu que leur père ne vit pas avec nous », a-t-elle expliqué.
Où vont ces mèches après leur utilisation ?
La question cruciale reste la destination de ces mèches lorsqu'elles sont défaites par les kinoises.
Pour M. Clarisse que nous avons trouvé à Kintambo-Magasin en train de se faire tresser, elle jette ses mèches usées dans la poubelle.
"Je change de coiffure souvent après deux semaines, voire même un mois. Tout dépend de la qualité de mèches utilisées et aussi du modèle de tresses. Concernant la quantité, tout dépend également du modèle de tresses et parfois aussi je suis tributaire des moyens. Mais j'ai toujours été dans la fourchette de 5 à 10 paquets. Mes mèches je les jette toujours dans la poubelle juste après l'utilisation", nous a-t-elle raconté à son tour.
Approché, Mambweni, éboueur dans le quartier Kinsuka, a avoué qu'il jette toutes les ordures ménagères qu'il récupère soit dans la rivière Lukunga, soit directement dans le fleuve.
"Je passe tous les jours dans les ménages avec mon pousse-pousse pour récupérer les ordures moyennant 1000 fc le sachet. Je vais ensuite le vider dans la rivière Lukunga, non loin du saut-de-mouton, si les policiers ne me dérangent pas, ou carrément dans le fleuve. Mais arriver jusqu'au fleuve c'est trop pénible car ça nécessite trop d'acrobaties", a-t-il relaté.
Du côté de la commune de Ngaliema, on déplore l'absence de décharges publiques dans cette municipalité de plus de 220 km2.
"Nous n'avons pas de décharges publiques comme c'est le cas dans d'autres communes. Tous les déchets, sans distinction, terminent leur course dans les caniveaux, qui sont devenus malheureusement des décharges anarchiques (...). A Kinsuka par exemple, la population jette les déchets directement dans le fleuve. Ces déchets se dirigent à Moanda pour se jeter dans l'océan. Si la commune avait des décharges publiques, ça pouvait peut être nous aider à faire le tri", a déploré sous l'anonymat un agent du service communal de l'environnement.
Les déchets plastiques dont les mèches font partie ont des conséquences graves sur la nature, comme l'a expliqué Jean-François Ghiglione, chercheur au Centre national de recherche scientifique (CNRS - France), aux journalistes de Kinshasa et du Kongo-Central fin juin dernier.
"8 à 12 millions de tonnes de plastiques arrivent dans les océans chaque année. Les micro et nanoplastiques sont 100 à 100.000 fois plus nombreux que les grands plastiques dans la nature. L’une des conséquences de cette pollution sur les êtres vivants, 1,4 million d'oiseaux en meurent par an et 14.000 mammifères également en périssent chaque année", avait dit ce scientifique lors d'une formation sur la couverture des problématiques de pollution plastique en RDC, organisée par Internews à Kinshasa.
Jean-François Ghiglione avait affirmé qu'une étude menée en Europe a permis de découvrir la présence des microplastiques dans le placenta de femmes enceintes. Une très mauvaise nouvelle pour la santé des bébés, notamment sur leur croissance et leur système immunitaire, car c'est dans le placenta que se développe le foetus.
Bienfait Luganywa