Le Congolais Blaise Ndala, 48 ans, qui vit au Cananda depuis 2007, publie son troisième roman en pleine effervescence sur le colonialisme belge.
C’est un livre qui tombe pile au bon moment. Alors que les nombreux meurtres aux Etats-Unis de citoyens noirs par des policiers blancs y ont suscité le mouvement « Black Lives Matter », en 2020, des activistes en Belgique ont surfé sur cette déferlante pour relancer leurs protestations contre Léopold II et la colonisation du Congo. C’est au milieu de cette effervescence que paraît le roman de Blaise Ndala, dont la pierre angulaire est le spectacle prévu par l’Exposition universelle de 1958, à Bruxelles, d’un « village congolais » animé par des personnes vivantes.
Ce spectacle, jugé aujourd’hui « dégradant » pour les Congolais de ce faux village, avait suscité des protestations à l’époque. Blaise Ndala le corse en supposant qu’une des jeunes femmes présentes s’y trouve après avoir été enlevée à Léopoldville par un Belge peu scrupuleux, à la suite d’amours interdites. Car l’héroïne est princesse kuba et, comme telle, ne pouvait priver son père du privilège d’établir une alliance avec l’ethnie des Lundas en la mariant à l’héritier de leur empereur.
Le pouvoir des chefs traditionnels
Cette intrigue permet à Blaise Ndala de revenir sur une des frustrations des indépendances africaines, au Congo comme dans d’autres pays: la souveraineté fut alors confiée à de nouveaux venus, bons élèves du colonisateur – appelés au Congo belge « les évolués » – au lieu d’être rendue à ceux qui en avaient été privés par la colonisation, les chefs traditionnels, ceux qui savaient comment on exerce le pouvoir. Les voici dépouillés à nouveau, cette fois au profit de « copies des blancs ».
Comme souvent, lorsque cette thèse est exposée, est passée sous silence la multiplicité de chefs dépouillés; entretemps, leurs royaumes et empires ont été agglomérés et aucun des anciens potentats ne saurait les gouverner tous, ni l’ensemble qu’ils sont devenus. Mais ce thème est l’occasion, pour Blaise Ndala, de rappeler, du ton ample de l’épopée, une notion qui semble aujourd’hui disparue au Congo alors qu’elle fit agir, se surpasser et se sacrifier ceux pour qui elle comptait: « L’honneur. Ce qui fait se tenir debout ».
Si le roi des Kubas avait reconnu la souveraineté du roi des Belges, il voulait « faire du royaume hérité de ses aïeux un îlot de fierté au cœur de la province du Kasaï. Continuer de se soumettre aux lois de l’administration coloniale sans renoncer à la dignité ». Il disait: « Le coq a deux genoux, certes, mais personne ne l’a jamais vu les plier à la manière du chien pour quémander une graine de maïs ».
Le rôle de Wendo Kolosoy
Le roman est plutôt bien écrit, malgré quelques anachronismes verbaux et un récit parfois filandreux. Il fait intervenir dans l’intrigue la principale vedette de la rumba congolaise des années 50, l’inoubliable chanteur Wendo Kolosoy, ce qui devrait contribuer au succès du livre.
Dans son désir de plaire au lecteur d’aujourd’hui, cependant, l’auteur va trop loin. Il place ainsi dans la bouche du roi kuba mourant un plaidoyer pour les migrants désireux de gagner l’Europe, totalement incongru dans le récit. Et transforme le fameux match de foot du 4 janvier 1959 entre deux équipes de Léopoldville, VClub et Mikado – il joua un rôle dans les émeutes de ce jour, qui décidèrent Bruxelles à octroyer l’indépendance à sa colonie – en confrontation entre « indigènes qui s’étaient présentés nu-pieds sur le gazon » et « une équipe blanche constituée de maîtres prêts à renvoyer l’adversaire à sa rumba quotidienne. Une rencontre qui vit la fourmi noire ne faire qu’une bouchée de l’éléphant blanc ». Nous voilà tombés au niveau du jeu vidéo. Comme si l’histoire du Congo n’était pas suffisamment extraordinaire.
« Dans le ventre du Congo »
de Blaise Ndala