Parti, le 2 août, de Kinshasa à la surprise générale pour la Belgique – pays qu’il considère comme son « autre Congo » -, le chef de l’Etat congolais a regagné la RDC dans la nuit de mardi 6 à mercredi 7 août de la même manière. Sans tambour ni trompette. Quelques heures avant de reprendre son avion, « Felix », comme l’appellent tant ses proches que ses contradicteurs, a accordé une interview au média kinois «Top Congo» au 32 rue Marie de Bourgogne. Christian Lusakueno et l’auteur de ces lignes étaient au micro. Vingt-quatre heures après la diffusion de cet entretien – dont le but était d’estomper les rumeurs alarmistes – la polémique fait rage.
LES RÉACTIONS
Certains auditeurs et téléspectateurs n’ont pas trouvé mieux que s’attarder sur un lapsus du chef de l’Etat. Et ce pour avoir dit « réduire le pouvoir d’achat » en lieu et place de « augmenter le pouvoir d’achat ». Et pourtant, un lapsus est et reste « l’emploi involontaire d’un mot pour un autre ». D’aucuns estiment que Felix Tshisekedi Tshilombo n’aurait pas dû accorder cette interview. Au motif, selon eux, qu’il a semblé parlé sous l’effet de médicaments.
L’hommage rendu, par Felix Tshisekedi, à l’ancien ministre des Finances, Nicolas Kazadi, dans les relations RDC-FMI est tout simplement «imbuvable» pour les Kinois. A tort ou à raison, Kazadi est considéré comme un « voleur ». Et ce en dépit du fait qu’il bénéficie encore de la présomption d’innocence dans le cadre de la surfacturation présumée d’un marché public.
Enfin, « Fatshi » est jugé « trop cach » dans ses propos sur la crise dans l’Est pour avoir traité Paul Kagame de criminel et qualifié « Joseph Kabila » de véritable leader de l’Alliance Fleuve Congo (AFC). Nombreux sont les observateurs qui estiment le chef de l’Etat est apparu « fatigué ». C’est, semble-t-il, qu’il aurait donnée durant les premières minutes de l’émission. La béquille utilisée pour s’appuyer côté gauche est devenue aussi un sujet de controverse. C’est à croire que ceux avaient annoncé la « gravité » de l’état de santé du Président refusent la réalité en face.
Les Congolais seraient-ils de mauvaise foi ? Cette question n’est pas du tout une provocation dans la mesure où « Fatshi » avait abordé plusieurs thèmes. Outre son état de santé, il y a eu notamment : la situation socio-économique, le monitoring du gouvernement, le désamour à l’égard du chef de l’Etat, la guerre dans l’Est, la nomination de Constant Mutamba, la modification ou révision de la Constitution.
THEMES DE L’INTERVIEW
La santé du chef de l’Etat. « Je vais très bien. Je crois que ça se voit », a déclaré en liminaire le Président avant d’expliquer dans les détails les raisons qui l’ont poussé à venir poursuivre des soins à Bruxelles après avoir été soigné à l’hôpital du Camp Tshatshi. Comme pour couper court aux rumeurs sur la « gravité » de son hernie discale, il a eu ces mots : « J’ai présidé la réunion du Conseil des ministres du vendredi 2 août avant de m’envoler ». Après les soins, il devait observer quelques jours de convalescence. Les contradicteurs n’ont retenu que le lapsus.
La situation socioéconomique. Le Président de la République a mis l’accent sur le pouvoir d’achat de la population lequel ne cesse de s’éroder face aux fluctuations du dollar. Outre la dépendance de l’économie nationale à la devise américaine, il n’a pas exclu des «sabotages économiques» orchestrés par des ennemis tant internes qu’externes.
Felix Tshisekedi a rendu un hommage à la Première ministre Judith Suminwa Tuluka qui, selon lui, est «à l’oeuvre». Et d’ajouter que le Vice-Premier ministre en charge de l’Economie, Mukoko Samba, a présidé une réunion de la Commission économique et financière. «Un train de mesures urgentes» a été prise en vue de «baisser la tension sur le marché ». Pour lui, c’est un combat en permanence.
Le désamour ambiant. Réélu en décembre dernier avec 73%, on assiste à une ambiance de « désamour » à l’égard du chef de l’Etat. Il n’est pas rare d’entendre des réflexions du genre : « Je suis tshisekediste ‘Etienne’ et non tshisekediste ‘Felix’ ». Au motif, selon ces locuteurs, que ce dernier a oublié le mot d’ordre de Tshitshi : « Le peuple d’abord». Réponse de l’intéressé : « Je n’ai jamais exigé à quelqu’un de m’aimer. La vie d’un Etat n’a jamais été un fleuve tranquille. Il y a des hauts des bas. ». Ajoutant : « (…), J’espère qu’en 2028, lorsque nous ferons le bilan, ceux qui disent que je me suis éloigné de Tshisekedi Etienne auront le courage de revenir sur leurs propos ».
La guerre à l’Est. Réaffirmant sa foi au processus de Luanda lequel exige notamment le cantonnement des combattants de M23, le président Felix Tshisekedi n’a pas mâché ses mots en affirmant qu’aussi longtemps qu’il sera à la tête du pays, il n’aura jamais en face la délégation du M23. « Je veux parler au Rwanda », a-t-il souligné. Pour lui, les troupes rwandaises « n’ont qu’à plier bagage ». Et de marteler : «C’est une guerre de conquête territoriale ». Pour lui, il n’y aura pas de négociation au risque d’aboutir aux « mixages » et autres « brassages ».
La modification ou la révision de la Constitution. Le chef de l’Etat a martelé, à ce sujet, qu’il ne voudrait nullement faire modifier la Constitution pour augmenter le nombre de mandat du Président et la durée. Il a clamé sa détestation de la manière dont le découpage territorial a été effectué au point que certains citoyens ayant vécu au chef-lieu de l’ancienne province deviennent des « étrangers ». Et de souligner, au passage, le temps consacré tant à la validation des mandats que l’élection du Bureau de chacune des Chambres. Son vœu est de voir les gouverneurs de provinces redevenir de « grands commis de l’Etat ». Il a déploré le chantage que les députés provinciaux exercent sur les chefs des exécutifs locaux. Le Président de la République espère mettre sur pied une grande commission nationale multidisciplinaire pour examiner la question constitutionnelle. L’ambition, selon lui, est de rapprocher l’Administration de la population.
La cohésion nationale. Répondant à une question sur la nomination-surprise de l’opposant Constant Mutamba au gouvernement, le Président a confirmé qu’il s’agit, à son point de vue, un signe d’ouverture en vue de rassembler. Il aurait fait part de cette volonté de cohésion nationale aux Evêques venus le rencontrer. Il n’a pas exclu un remaniement au début de l’année prochaine.
La diplomatie. Réagissant à une question sur le caractère « velléitaire »des relations entre la Belgique et la RDC, Felix Tshisekedi s’est, au contraire, félicité de l’excellence des rapports entre les deux pays. Selon lui, des contacts sont entretenus au plus haut niveau. Il s’est, par ailleurs, réjoui de l’état des relations entre Kinshasa et Washington.
Baudouin Amba Wetshi