Kinshasa est une ville dont le scénario de son vécu quotidien ne ressemble qu’à elle-même. Entre embouteillages, joie de vivre, chaleur, matchs de football, pluie, manifestations, activités culturelles ; le kinois n’est pas celui qui baisse le bras et se laisse traverser par les émotions afférentes à l’engouement populaire. Pour sa vie ou sa survie, sa passion ou son obligation, il se met à fond, se battant bec et ongle tant que c’est nécessaire.
Toutes ces particularités qui font la ville de Kinshasa, capitale de la RDC, sont bien transposées sur la scène d’un art vivant qu’est le théâtre lors du festival « Ça se passe à Kin » depuis 11 éditions maintenant. Cette mégapole qui ressemble et rassemble aux/de nombreux congolais a connu son festival de théâtre du 5 au 12 juin dernier. Les histoires d’ici, bien sûr, mais également avec une ouverture à l’international, avec quelques artistes étrangers qui se sont produits.
Un théâtre exigeant, un nouveau public, une fête autour de l’art, sont parmi autant de choses positives qu’a retenu Israël Tshipamba, initiateur de l’événement.
« On a fait tout ce qu’on voulait faire. On voulait un théâtre exigeant, nous l’avons eu, on voulait promouvoir la scène émergente théâtrale congolaise, nous l’avons fait. On voulait avoir des concerts dans la rue tous les soirs, ç’a été fait, on voulait avoir de très nombreux publics, c'était fait. C’était un véritable succès. C’était professionnel, c’était populaire et très agréable cette année », a-t-il dit en termes de bilan de cette onzième édition.
Avec une programmation quotidienne, un peu tard dans la soirée et avec accès gratuit, le festival “Ça se passe à Kin” a pu réunir 40 artistes dont la moitié est venue d’autres pays tels que la Belgique, le Congo Brazzaville, la France, la Côte d’Ivoire, le Bénin, le Maroc, le Burkina Faso, le Portugal et le Luxembourg. Avec une présence assez remarquée des femmes comédiennes et metteuses en scène.
Pendant les soirées, les pièces de théâtre qui ont été présentées sont Guerre de Lars Noren, mise en scène de Tina Way ; Zone Franche d’Édouard Elvis Bvouma, mise en scène d’Aaron Lukamba ; Clôture de l’amour de Pascal Rambert, mise en scène de Tina Way ; Les Trois Marias avec la mise en scène de Laetitia Ajanohun ; Je suis à prendre ou à laisser de Bérékia Yergeau, mise en scène d’Abdon Koumbha et Rebecca Kompaoré ; Noces de Safoura Kabore, mise en scène d’Odile Sankara ; La nuit avant la forêt de Bernard Marie Koltès, mise en scène de Landry Banoudo ; et Ce que j’appelle l’oubli de Laurent Mauvignier, mise en scène de Sophie Langevin.
Certaines de ces pièces de théâtre ont été également jouées Chez les oblats et un peu plus tôt dans la matinée pour les jeunes et les associations des femmes.
Nathalie Fodderie, gestionnaire du restaurant Inzia dans la commune de la Gombe, a participé à 6 jours sur les 8 du festival, une expérience qu’elle se voit tenter de reprendre dans son espace.
« C’était un marathon. C’est comme une drogue. Quand on commence à venir, on a envie de venir tous les jours. L’ambiance est fantastique, on a un très beau moment culturel en commençant la soirée avec une pièce de théâtre. C’était une très belle découverte. Entendre de beaux mots, interprétés par de très bons acteurs, et un concert dans la rue par suite, c’est des soirées géniales », a-t-elle confié à ACTUALITÉ.CD
En plus des représentations, des ateliers ont été organisés avec des élèves. L’idée étant de préparer le public qui remplira les théâtres de demain. Cette édition a eu aussi la particularité de voir les performances des artistes qui ont bénéficié du projet Émergence théâtrale. C’est une initiative qui a été mise en place quelques mois plus tôt pour aider les artistes émergents à rendre visible leurs créations dans un cadre professionnel et professionnalisant.
« Ma création a bénéficié du programme Émergence Théâtrale 2024, un projet qui a pour but d’accompagner les metteurs en scène, les créations artistiques. Il y a de l’accompagnement dans la dramaturgie et la mise en scène, cela a été très particulier », a expliqué Aaron Lukamba, un des bénéficiaires du programme.
Ce que j’appelle l’oubli
Le dernier spectacle de théâtre de cette édition est venu de Luxembourg. Il s’intitule « Ce que j’appelle l’oubli ». Un monodrame, avec un seul comédien sur scène. Il incarne tous rôles, se meut sur la scène, place chaque mot avec une prononciation quasi parfaite, Luc Schiltz, s’est fait remarquer dans la maîtrise des déplacements en adéquation avec les lumières pour donner du sens théâtrale à ce récit qui au départ n’est qu’une histoire vraie.
C’est l’histoire d’un jeune homme dans un supermarché qui se passe dans la ville de Lyon en France. Il s'est dirigé vers les boissons, a ouvert une canette de bière et l'a bue. Les vigiles l'ont arrêté, ni lui ni personne n'aurait pu imaginer qu'il n'en sortirait pas. Le procès et tous les bruits et l’indifférence qui s’en sont suivis sont racontés dans les détails les plus émotifs grâce à la mise en scène de Sophie Langevin, une autre luxembourgeoise.
« C’est un texte européen, il y a la question de savoir si ça va passer les frontières. Mais j’avais pas tellement de doute parce que je pense que c’est universel, ça s’adresse à fraternité, aux hommes. On a des cultures différentes mais on a les mêmes cœurs, on est porté par des émotions pareilles », a expliqué la metteure en scène de cette pièce.
La complexité du travail qu’elle a pu réaliser se base sur le fait de transposer le récit en théâtre. Sophie Langevin a réussi à trouver la dimension de l’absurdité, de la violence, l’horreur, de la parole fraternelle et humaniste pour en arriver là. Ce qui a laissé le public bouche bée, emporté par la dramaturgie.
« Je n’ai pas eu l’impression qu’il n’y avait personne. Les gens écoutent et sont très attentifs. Il n’y a pas une seule personne qui a toussé. Je me suis dit que je les ai, je les ai capturés dans l’histoire, je les ai embarqués, ça c’est génial », a dit Luc Schiltz, le comédien luxembourgeois qui a joué dans la pièce.
La pièce n’a été jouée qu’au Luxembourg avant de venir à Kinshasa. Le fond du texte interpelle sur l’oubli, la mise à l’écart et l’invisibilité de certaines personnes ou catégories de personnes dans la société. « Essayons de respecter tout le monde, de prendre en compte tout le monde et de ne pas s’entretuer », ajoute Luc.
Kuzamba Mbuangu