Une bande dessinée d’Antoine Ozanam et Isabelle Dethan revient sur l’histoire méconnue de celui que l’on surnommait le « Nègre de la République », cité comme exemple par Obama dans son discours d’investiture.
Né à Matanzas (Cuba) le 8 novembre 1836, arrivé en France dix ans plus tard, Severiano de Heredia est fréquemment présenté comme « le premier maire noir de Paris ». L’expression est plutôt caricaturale et il faut reconnaître au scénariste Antoine Ozanam et à la dessinatrice Isabelle Dethan le mérite de repréciser bien des choses sur la carrière de ce « mulâtre » dans la France de la fin du XIXème siècle, avec leur bande dessinée Severiano de Heredia, élu de la République.
« Qui est l’homme que Barack Obama cite dans son discours d’investiture et considère comme un exemple à suivre ? » se sont demandé les auteurs. Leur réponse tient en 56 pages : ligne claire, approche chronologique et pédagogique, refus des simplifications.
L’ascension d’un coureur de jupons
L’on suit donc la trajectoire d’un homme de son temps, épris de modernité. Fils de Henri de Heredia et de Béatrice de Cardenas, « gens de couleur libre », filleul (ou fils selon certaines rumeurs…) de Ignacio Heredia Y Campuzano, Severiano de Heredia nait dans l’opulence – sa famille est propriétaire d’une plantation et possède des esclaves. Envoyé en France à l’âge de dix ans, Severiano y fait de brillantes études au Lycée Louis-le-Grand où il remporte, en 1855, le grand prix d’honneur.
Dethan et Ozanam racontent un jeune homme beau parleur, dilettante, coureur de jupons et dandy qui finit par se décider pour une carrière de journaliste. Son talent comme son goût de l’intrigue et de la chose publique lui permettent de gravir rapidement les échelons, de rejoindre la loge « L’étoile polaire » du Grand Orient de France et de s’intégrer habilement dans les milieux politiques. Marié à Henriette Hanaire en 1868, il obtient sa naturalisation française deux ans plus tard, en 1870, au prix de savants calculs stratégiques.
Les auteurs de la bande dessinée n’hésitent pas à souligner les contradictions d’un homme aux idées libérales, mais issu d’une classe aisée. Un proche le conseille ainsi : « Si je puis vous parler sans détour… votre situation est quelque peu fâcheuse. Votre domaine aux Antilles exploite toujours des esclaves. Si vous voulez faire carrière en politique, je vous conseille de faire le ménage avant. Ce genre de… casseroles est exactement ce dont vous n’avez pas besoin ! » Réponse de l’intéressé : il est allé plaider à Madrid pour l’abolition de l’esclavage dans les colonies espagnoles… et pense vendre ses esclaves (… et non les affranchir !).
Laïcité et bibliothèques municipales
En 1873, engagé sous les couleurs républicaines, tendance radicale, Severiano de Heredia est élu au conseil municipal de Paris pour le quartier des Ternes et devient, six ans plus tard, président du conseil municipal de Paris. Ce poste est en fait essentiellement honorifique et limité à un an. De Heredia n’a en aucun cas les mêmes pouvoirs qu’un maire de Paris actuel. Tout l’intérêt de la bande dessinée est d’aller au-delà de ce cliché de « premier maire noir » en s’intéressant au réformisme social de l’édile. Certes, il s’est tenu loin de Paris au moment de la Commune (mars à mai 1871), mais une fois au pouvoir, il multiplie les initiatives sociales, comme la création des coopératives ouvrières, la défense de la laïcité et surtout la mise en place des bibliothèques municipales.
En 1881, Severiano de Heredia est élu à la chambre des députés (Union républicaine) comme député de la Seine… et perd au même moment son fils de 12 ans, Henri. « Et maintenant… maintenant, tout ce que je veux, c’est qu’il puisse avoir un enterrement laïque, sans passer par l’église. C’est ma façon de rendre hommage à la prunelle de mes yeux autant qu’aux lois que vient de faire passer Jules Ferry », dit-il alors. Réélu sous l’étiquette Gauche radicale, il devient ministre des Travaux public sous le gouvernement de Maurice Rouvier (IIIème République), poste qu’il occupera de mai à décembre 1887.
Favorable à la colonisation
Les auteurs, encore une fois, le présentent comme un homme pétri de contradictions : écœuré par l’exposition universelle de 1889 et ses zoos humains, blessé par les insultes racistes qu’il reçoit fréquemment (« Député chocolat », « Nègre de la République », « Nègre négrier fils d’une esclave et d’un bourgeois juif allemand »…), De Heredia n’en reste pas moins favorable à la colonisation.
Le gouvernement auquel il appartient œuvre à la laïcisation des hôpitaux et des cimetières, autorise le divorce. À titre personnel, le ministre fait voter la loi des réseaux métropolitains, se prononce pour la réduction du temps de travail des enfants de moins de 12 ans à 10 heures par jour et s’oppose au général Boulanger. En vain, il est battu aux élections de 1889 et 1893 par le candidat boulangiste Charles Le Senne.
HEREDIA NE FUT PAS VRAIMENT « PREMIER MAIRE NOIR DE PARIS »
Dethan et Ozanam accompagnent leur personnage après la fin de sa carrière politique : il le présente aussi comme un entrepreneur en avance sur son temps qui, en 1895, s’associe à Louis Antoine Krieger, pionnier de la voiture électrique, pour fonder la Société civile des voitures électriques, système Krieger… Severiano de Heredia meurt le 9 février 1901, terrassé par une méningite. Il est enterré au cimetière des Batignolles, quartier dans lequel une rue porte son nom depuis le 10 septembre 2013 grâce à l’initiative de l’élu socialiste Lamine Ndaw.
Il faut relire l’histoire de Heredia, aujourd’hui : ne serait-ce que pour éviter de lui coller l’étiquette de « premier maire noir de Paris», qu’il ne fut pas vraiment, et rendre justice à son humanité comme aux combats qu’il mena.
Severiano de Heredia, élu de la République, d’Antoine Ozanam et Isabelle Dethan, Passés/composés biopic, 60 pages, 14,90 euros.
source: jeuneafrique.com